lundi 25 novembre 2019

La mystique chrétienne et la philosophie

Dans son ouvrage, essentiel, de 2015 sur la question de l'être, Henri Mongis soulève un point particulièrement intéressant de la mystique chrétienne :

Peinture d'Hildegarde de Bingen Scivias I.3

« Tout d'abord relevons le trait fondamental suivant, qui entre dans toute description de base de la mystique chrétienne : la manifestation mystique ne peut jamais être obtenue par soi-même, de quelque façon que ce soit. Il y a une absolue impossibilité à la produire. Elle est reçue (... ).

(...) Ce qui est exclu, c'est que de tels actes, et, d'une façon générale, de l'activité intentionnelle puisse dépendre la possibilité du vécu mystique. Il faut en dire autant de toute état passif non surnaturel. Pas plus que l'activité intentionnelle, le ne-pas-faire n'est comme tel une condition d'obtention du vécu mystique.

(...) Une ouverture profonde de la personne cherchant Dieu n'est-elle pas pourtant réclamée ( Ap 3 20 ) ? Mais pour des raisons insondables un fort engagement religieux n'est pas nécessairement gratifié de cette expérience, alors qu'elle peut être accordée à ceux qui sont « encore loin » (Lc 15 20 ).

(...) J'appelle surnaturel, dit Thérèse de Jésus, ce que nous ne pouvons acquérir par nous-mêmes, quelque soin, et quelque diligence que nous y apportions. À cet égard, tout ce que nous pouvons faire, c'est de nous y disposer. »

— Henri Mongis, Ontologie du tragique et question de Dieu p.239

Il fait suivre cet exposé d'une question inévitable touchant la "recevabilité" de cette mystique dans le champ d'étude philosophique :

« Évidemment, ce caractère spécifique de la manifestation et donc de la certitude mystique chrétienne est d'emblée problématique pour le philosophe. La certitude que recherche ce dernier doit être accessible ; il faut un chemin vers elle. La méthode est la prescription des conditions nécessaires d'accès.  (...) Par rapport à ce type de certitude, la certitude mystique chrétienne peut-elle être mise en avant, est-elle même un thème philosophique recevable, dès lors que, radicalement indisponible, il n'y a pas d'accès à elle que surnaturel ?»

— ibid.

Cette question me touche particulièrement. J'ai fais une expérience mystique de cet ordre il y a de cela plus de dix ans maintenant alors que j'étais en master de philosophie.

Peu de temps après cet événement j'ai écris un petit article intitulé : Je ne fais pas œuvre de philosophique. Si le contenu de cet article portait sur une forme de rejet du terme de philosophie pour réunir tout ce champ sous celui de "pensée", dans les faits il m'est resté en mémoire comme le signe d'une rupture, d'un passage : celui de la philosophie à la foi si je puis dire.

J'étais confronté au problème posé par Mongis et je l'avais alors résolu par ... la fuite, d'une certaine manière. Je n'étais plus philosophe, je ne pouvais l'être.

Plus de dix ans plus tard la question me rattrape alors même que j'ai vécu une seconde expérience mystique, que je suis ramené régulièrement à la philosophie et que la question de l'être ne cesse à nouveau de m'obséder sous son versant négatif, mon vieil ami/ennemi : le Néant.

La réponse à cette question sera pour la fois prochaine.

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