vendredi 7 septembre 2007

אהיה אשׁר אהיה (Èhiè ashèr èhiè)

Cet article était une réponse à l'article d'une amie intitulé "Le nom qui est au-delà de tout nom". Je continue à creuser la question de circularité et de la linéarité du temps, ainsi que de la parole, et, in fine, la question de l'être ( note de 2019 ).

Si j'ouvre la traduction de Chouraqui (Exode est ici Noms), je lis : «Elohîm dit à Moshè : "Èhiè ashèr èhiè ! - Je serai qui je serai"». Ce qui paraît logique puisque s'il n'y a pas vraiment de présent en hébreu, nous ne pouvons avoir "je suis ce que je serai". IHVH termine par "Voilà mon nom en pérennité,\ voilà ma mémoration de cycle en cycle".

La vérité chez les grecs était témoignage des yeux. La parole n'était là que pour communiquer ces visions, les traduire en mots. La vue est fondamentale chez les grecs. La vérité est ici ineffable, et figée. C'est pour cette raison que l'intuition est si importante chez les grecs. L'intuition est le résultat d'une contemplation, quelque chose de figé. La θεορια grecque est un processus de savoir qui a un but, qui est linéaire. Ici le λογος ne peut être que descriptif. La contemplation était primordiale car c'était l'action qui était admirée. Non pas cette inscription dans une temporalité qu'implique la recherche d'une signification, mais la contemplation d'un pur advenir. Être là au bon moment pour contempler l'action réalisée au bon moment. Le savoir devenait la quête des philosophes : qu'ai-je vu ?

Avec la religion hébraïque nous passons de l'ineffable grec à l'invisible. Dieu se présente comme celui qui peut être entendu, mais pas vu. La vérité n'est pas la vue, l'identité de ce que l'on a sous les yeux, mais l'obéissance : est-ce que j'obéis à la parole de Dieu ? La vérité est dans la signification de la parole. Et la signification de la parole se recherche par le travail toujours recommencé de la pensée. C'est ainsi que la religion hébraïque créé l'histoire. Ou plutôt, fait de l'histoire l'élément fondateur d'un peuple. L'histoire est linéaire, elle construit du sens. Paradoxalement, le travail sur ce sens est circulaire : c'est la pensée, en tant qu'elle est pure recherche de sens, qui révèle l'histoire. Le couple Histoire/pensée, est l'opposé exact du couple contemplation de l'action/savoir. La contemplation est toujours recommencée, mais la recherche du savoir (décrire en mot l'identité visible) est linéaire, elle a un but précis : mettre les bons mots sur l'image. Chez les juifs, la pensée est révélation toujours recommencée d'un devenir que ne peut promettre qu'un Dieu invisible et éternel.

On retrouve la notion d'éternité chez les philosophes grecs. Héraclite (fragment B30) nous dit :

«Ce monde-ci, le même pour tous,
nul des dieux ni des hommes ne l'a fait,
Mais il était toujours est et sera,
Feu éternel s'allumant en mesure et s'éteignant en mesure.»

Mais aussi, bien sur, chez Parménide (fragment VIII) :

«Seul reste donc le récit de la voie
«est». Sur elle, les marques sont
très nombreuses : en étant sans naissances et sans trépas il est,
entier, seul de sa race, sans tremblement et non dépourvus de fin,
jamais il n'étais ni ne sera, car il est au présent, tout ensemble,
un, continu.»

Le reste du fragment est sublime, mais je dois m'arrêter. Dans ce poème il est dit un moment : «J'arrête là pour toi le discours fiable et la pensée sur la vérité.» Passage sublime. Un des rares moment dans lesquels la pensée, le discours, est chemin vers la vérité. Ici les dieux sont semblables aux hommes, car ils sont spectateurs d'un monde qui le précèdent. D'une certaine manière la philosophie grecque est l'assassin de la religion grecque.

Ce qu'il y a d'intéressant chez Héraclite et Parménide, c'est la question du temps et de l'être. Chez Héraclite, le monde est et sera. Présent et futur. On est ici assez proche du «Je suis ce que je serai». Avec Parménide il y a une sorte de refus du devenir dans l'être. Paradoxalement, il dit de lui qu'il est "continu". Il est, ne devient pas, mais continue d'être. Peut-être un problème d'histoire. Chez les grecs l'histoire est déjà un produit humain et divin, mais pas un produit de l'être, du moins pas spécifiquement. Avec la religion hébraïque, Dieu créé l'histoire. Voilà peut-être la raison d'un Dieu qui «serai ce qu'il serai», un devenir absolu.

Si l'homme est à l'image de Dieu, alors l'histoire est le seul moyen d'inscrire l'homme dans un devenir. Parce que l'homme a un horizon, la mort, parce que l'histoire des ses Ancêtres lui apprend qu'il est né dans un monde qui était avant lui et qui continuera d'être après lui, alors son inscription dans un devenir se comprend dans la naissance. «Un enfant nous est né», par cette phrase nous savons déjà la fin de l'histoire : «un homme est mort». Mais pas la fin de toute l'histoire. Ici Dieu se fait homme en s'inscrivant lui-même dans l'histoire des hommes qu'il a rendu possible en les faisant à son image et en leur donnant la volonté.

Dieu s'il est entendu est innommable, car son nom lui donnerai une fixité qu'il n'a pas en propre. Seuls les animaux, les plantes, les minéraux etc. peuvent être nommés. Car leur vie de pure circularité les figent dans leur être. Ils sont toujours identiques à eux-mêmes. L'homme comme Dieu, devient. Et son nom résonne qu'au travers de son histoire. Dieu en pur devenir ne peut être nommé car il est déjà pleinement tous ce qu'il devient, et cela est pour nous invisible. L'homme doit attendre sa mort pour être parfaitement nommé. À la naissance il est difficile de distinguer un petit jules d'un autre petit jules, ils sont des êtres en devenir. Mais à la mort Jules Renard n'est pas Jules César. Leur naissance est pourtant déjà marquée par leur nom de famille, et cette famille constitue déjà pour eux une inscription dans une histoire.

Le «je serai ce que je serai» du Dieu de la religion hébraïque disait : vous, mon peuple, devez vous inscrire dans une grande histoire familiale. Vous êtes un peuple en devenir et devez faire de l'obéissance en ma parole la directive de vos actions.
Le «un enfant nous est né» du Dieu chrétien disait : Je ne parle plus seulement à un peuple, mais à vous tous, hommes. Chacun d'entre-vous êtes des devenir. Vous êtes libre car Jésus a racheté vos péchés en se faisant à son tour homme, en mourant, et en ressuscitant. Il a fait de la mort votre horizon, et du souvenir en vos semblables votre résurrection. Jésus a produit l'histoire qui permet à chacun des hommes de s'inscrire dans un devenir qui ne le fait pas chuter dans l'anéantissement.
Se faire un nom. Les hommes peuvent nommer, mais leur prénom ne les saisit pas dans leur devenir. Puis vient la mort, et une nouvelle vie en chacun de nous.

Souviens-toi que tu es mortel, et écoutes la parole des morts.

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