mercredi 29 août 2007

Ecce Homo : sur l'incarnation

 Ce texte précède de quelques mois mon premier éveil. Il est intéressant de constater un glissement de plus en plus franc d'une mystique humaniste vers une mystique chrétienne quand bien même, dans ce texte-ci, l'intention était d'abord humaniste. Ce texte s'appuyait sur la lecture de Hannah Arendt de la Nativité qui manifeste chez elle ce qu'elle appelle "le miracle de l'être" ( note de 2019).

« Un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire »






Cette superbe phrase me parle parce qu'elle désigne un nouveau commencement. Si Dieu choisi d'assumer jusqu'au bout l'Incarnation par la venue au monde d'un enfant, n'est-ce pas pour nous dire, réaliser même, que l'homme est d'abord un nouveau commencement ? Tous les hommes sont un nouveau commencement. Aucun homme n'est superflu. Si l'homme est un nouveau commencement, alors son humanité, son être-homme, est un devenir. Au travers de la naissance du Christ, Dieu dit : l'homme n'est pas une nature fixe, il est un commencement, et donc une fin.

De la Natalité à la Croix, la réalisation de l'homme : ecce homo.

Si l'homme est un commencement, et donc une fin, alors la Croix, la mortalité voulue par Dieu, réalise l'homme.

Mais que suppose une telle affirmation ? Un homme toujours en devenir ? Dieu pose le problème de la confiance entre les hommes. Comment faire confiance, c'est à dire croire en la promesse faite par un homme, en un homme qui n'a pas de nature fixe, qui est pure culture ? En se faisant homme, Dieu dit : vous devez maintenant croire en l'homme comme vous croyez en moi. Luther disait que Dieu est nécessaire car il faut un être en qui nous pouvons toujours avoir confiance. L'Amour et la Foi sont les marques de la confiance en Dieu. Par l'Amour l'homme voit, reconnaît et loue Dieu. Il le reconnaît et le voit car seul Dieu est toujours pleinement lui-même. Il le loue car il rend possible la confiance entre les hommes en plaçant sa confiance en Lui. La Foi devient acte d'Amour. Et l'Amour de Dieu, en rendant possible la confiance dans les promesses des hommes qui sont purs devenir, rend possible le politique. Avec Jésus, la Foi devient l'élément structurant du politique.

Mais avec la Natalité et la Croix, Dieu nous dit autre chose : la mortalité est un fait humain. Si l'homme nait dans un espace qui lui est préexistant et qui continuera après sa mort, c'est que cet espace dure. Cet espace c'est notre monde. Pas la Nature, qui est pure mouvement cyclique de création/destruction. Le monde traverse cette Nature consummatoire. Les œuvres des hommes, les batîments, les textes, la musique, la Culture, voilà ce qui érige un monde qui dure et fait de l'homme un être mortel.

La Natalité et la Croix confirment la culture humaine.

Si la Culture dure, c'est parce que les nouveaux commencement, les nouvelles naissances, apprennent de leurs Ancêtres. Ils se souviennent. Dans le souvenir naît le dialogue, la parole vivante. En me remémorant ou lisant la parole des morts, j'entre dans un dialogue qui me construit, moi homme toujours en devenir qui a besoin d'une Culture (la parole des morts) pour tenir dans mon être. Je fais resurgir la parole vivante.

« Et toute cette multitude de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, et les autres pour un opprobre éternel qu'ils auront toujours devant les yeux. Or tous ceux qui auront été savants brilleront comme les feux du firmament, et ceux qui en auront instruits plusieurs dans la voie de la justice luiront comme des étoiles dans toute l'éternité.» (Daniel XII, 2-3)

La Culture, l'homme en devenir mènent à la Résurrection.

La Résurrection est résurrection de la voix, de la parole, de la vie du mort. L'Amour dans le Crucifié est reconnaissance de Jésus. Non amour du Christ, mais amour de Jésus, l'homme en devenir et qui a vécu :

«Comment ils le reconnurent à la fraction du pain» (Luc 24,35)

La reconnaissance n'est pas regard d'une nature fixe ou d'un discours décharné, elle est reconnaissance d'une voix et d'une vie qui se rencontrent dans la Parole. La Parole est dialogique car elle est incarnée. Nous ne pouvons dialoguer qu'avec un vivant.
Ce n'est pas la prêche du Christ qui révèle Jésus Ressuscité à ses disciples. C'est sa Parole suivie de la fraction du pain. Une parole incarnée dans une vie.

«Jésus lui dit : Marie ! Se retournant, elle lui dit en hébreu : Rabbouni» (Jean 20, 26)

« L'homme par qui, et par qui seul, les hommes inachevés que nous sommes deviennent pleinement hommes »

Natalité, Crucifixion, Résurrection : ecce homo. L'apparition de l'homme, ce perpétuel commencement, est apparition du devenir. Si l'homme pleinement homme est l'homme qui devient, alors nous pouvons imaginer Dieu dire aux hommes : "Devenez ce que vous êtes". Cela n'est possible que parce que nous naissons et mourrons. Nous venons au monde dans la perspective de notre fin. Nous sommes immédiatement en devenir, mais nous devenons pleinement un devenir quand nous choisissons de l'être, quand nous choisissons de vivre afin de devenir, quand nous choisissons de nous "faire un nom". Quand nous agissons de manière à incarner le nom qui nous a été donné. C'est à notre mort, dans le moment ou l'on se souvien de nous, que nous faisons définitivement notre nom. Pascal (Blaise) est définitivement Pascal. Il n'est pas un nom creux, car il résonne en nous comme une personne vivante. Voilà la Résurrection, ce moment ou les vivants font revivre les morts car ils sont "des étoiles dans toute l'éternité".

Ce que les vivants font revivre c'est la vie des hommes, leur parole incarnée, leurs actions. Le retour éternel du devenir d'un homme qui alimente le devenir d'un nouvel homme au travers du dialogue des morts avec les vivants.
L'homme est celui qui a assez de force pour incarner pleinement sa parole en sachant qu'elle sera éternellement répétée. L'Éternel Retour de soi en tous les autres, voilà peut-être le message de Jésus : "Moi homme, pleinement homme, en naissant et mourrant, je reviens éternellement au travers de vous, hommes naissant et mortels".

L'homme comme devenir perpétuel : cette annonce du Christ libère les hommes du péché. Co-naître, naître avec de manière perpétuelle, voilà le péché d'Adam. Dieu avait créé Adam à son image, une image est pure fixité. En choisissant la connaissance, l'homme choisissait le devenir, la spécificité divine. Dieu est purement subsistant en lui-même dans son devenir même, voilà pourquoi son nom est imprononçable. Il est imprononçable car il est pur mouvement qui se tient pourtant constamment. En choisissant de co-naître, de naître toujours à nouveau au contact de chaque chose, l'homme choisissait le devenir.

Mais l'homme ne pouvait se tenir lui-même dans ce devenir, voilà la chute.

En se faisant homme, et en mourrant crucifié, Jésus rachète le péché des hommes en faisant de la Culture, de l'histoire, du dialogue de soi avec autrui, des vivants avec les morts, la possibilité de tenir dans son devenir au travers l'Éternel Retour de soi chez les vivants. La Résurrection.